Forgée en 1967 par le physicien américain John Wheeler (1911-2008), l’expression « trou noir » désigne un des objets les plus fascinants de l’astrophysique. Encore faut-il comprendre pourquoi « trou » et pourquoi « noir », ce qui nécessite une petite balade au pays de la relativité générale. Selon cette théorie de la gravitation, formulée par Albert Einstein (1879-1955) en 1915 et qui a soutenu tous les tests auxquels elle a été soumise depuis lors, si la balle que vous lancez en l’air retombe vers le sol, ce n’est pas sous l’effet d’une force invisible exercée par la Terre, mais parce que la masse de notre planète courbe l’espace-temps et crée un champ gravitationnel auquel il n’est pas simple d’échapper.
Pour se représenter les choses, on a coutume de mettre en scène une grande nappe tendue entre quatre piquets, au milieu de laquelle on a posé une boule de pétanque. Celle-ci déforme le tissu au point d’y creuser une cavité. Lorsque l’on fait rouler un cochonnet sur la nappe, sa trajectoire initiale est déviée par la courbure de la nappe et il peut même finir au fond de la cavité dans le cas où sa vitesse est trop faible. Revenons à cette balle que vous lancez vers le ciel. Si vous voulez vraiment qu’elle ne retombe pas dans le puits gravitationnel que la masse terrestre génère dans la trame de l’espace-temps, il faut lui faire atteindre la vitesse dite « de libération », celle qui l’arrache à l’attraction de notre planète. Dans le cas de la Terre, la vitesse de libération, à laquelle on propulse les sondes partant explorer le Système solaire, est de 11,2 kilomètres par seconde, soit un peu plus de 40 000 km/h. Mais que se passe-t-il si, dans la nappe spatio-temporelle, on dépose un objet à la masse tellement concentrée que sa vitesse de libération dépasse celle de la lumière (300 000 km par seconde) ? Réponse : plus rien, pas même la lumière, ne peut s’en échapper. L’objet est donc noir. Et toute matière qui s’approche trop près tombe dans ce gouffre-piège au centre duquel se trouve ce que les spécialistes nomment une « singularité ». Un endroit où tout – la densité, la gravité, la courbure de l’espace-temps – devient infini. Une manière de dire que les équations d’Einstein ne peuvent plus décrire la réalité.
« Horizon des événements » « Le trou noir est une région de l’espace-temps qui se déconnecte du reste, résume Jean-Pierre Luminet, directeur de recherches CNRS au Laboratoire d’astrophysique de Marseille. Sa frontière s’appelle “l’horizon des événements”. C’est une frontière immatérielle au-delà de laquelle il n’y a pas de retour possible. » Imaginons un intrépide voyageur franchissant cette limite, se retournant et allumant une lampe torche vers l’extérieur du trou noir : son rayon lumineux retomberait vers lui, comme la balle que vous lanciez au début de cet article… La manière la plus simple de fabriquer un trou noir consiste à faire mourir une étoile massive (plusieurs fois la masse du Soleil). Quand, faute de « carburant », l’astre ne peut plus entretenir de réaction thermonucléaire, il implose dans une supernova. Ses couches extérieures sont soufflées dans l’espace tandis que son cœur s’effondre sur lui-même au point d’atteindre une densité folle – l’équivalent de plusieurs masses solaires dans une sphère d’un rayon analogue à celui de Paris – et de se transformer en trou noir. Si le mécanisme d’apparition des trous noirs stellaires est bien compris, ce n’est en revanche pas le cas pour celui des trous noirs supermassifs qui trônent au centre des galaxies. Les cosmologistes ont pour le moment du mal à expliquer par quel processus ces monstres, agrégeant pour certains plusieurs milliards de fois la masse du Soleil, ont pu se former assez vite après la naissance de l’Univers.